L’harmonie vocalique en joola fooñi
urn:nbn:de:0009-10-46528
Résumé
Il existe dans les langues de l’ensemble linguistique joola, tout comme dans la plupart des langues du groupe atlantique, une répartition des voyelles en deux séries distinctes : les voyelles +ATR et les voyelles -ATR. Tous les travaux sur ces langues décrivent un système avec un phénomène d’harmonie vocalique selon lequel les deux séries de voyelles ne se combinent pas entre elles, à l’intérieur du mot, c’est-à-dire qu’à l’intérieur d’un mot, toutes les voyelles sont soit +ATR, soit -ATR. En joola fooñi, cela n’est pas toujours systématique. Nous verrons, dans cet article que l’absence d’harmonie vocalique totale en joola fooñi, s’explique en partie par le degré d’intégration variable des morphèmes liés.
Abstract
In the languages which compose the Joola linguistic group, as in some languages of the Atlantic group, there is a distribution of vowels into two different series : +ATR vowels and –ATR vowels. All the works on these languages describe a system with a vowel harmony phenomenon according to which the two series of vowels do not combine with one another, inside the word, that is to say that inside of a word, all the vowels are either +ATR or –ATR. In joola fooñi, this is not always systematic. We shall see, in this article, that the absence of total vowel harmony in joola fooñi, is partly due to the degree of variable integration of bound morphemes.
Résumé (joola fooñi)
Babaj dɩ ulobumɐm ujoolɐɐw, nɩn wɩkɛɛn watɩ kayɔɔŋak kan kɔɔnɛmɩ ‘Atlantique’, ʊcaab ʊgaba watɩ ʊcɩɩk ʊnaarɛ wɐlebie, di ʊcɩɩk ʊnaarɛ warɛntɛ. Ʊrɔkaw tuu wakaanɩmɩ dɩ ʊsankɛnaw ʊwʊ, uyisenyisen mukɐɐnum majɔɔŋɔɔrɛ matɩ ʊcɩɩk ʊnaarɛ wan ʊmanjɛ, ʊyɔɔŋaw ʊgabaraaw watɩ ʊcɩɩkaw ʊnaaraaw lɛt ʊyañɔɔr dɩ fʊrɩm fɐkon. Dɩ kujoolɐɐk katɩ Fooñi, lɛt nanɔɔsan mɔɔmʊ. Panʊjʊkaal dɩ bʊrɔkab ʊbɛ, matɩ kɐbɐjɐtɐɐk katɩ kajɔɔŋɔɔrak katɩ ʊcɩɩkaw ʊnaaraaw burom, ʊrɩm wasʊkɛnɔɔrɛ wɩkɛɛn, ʊkɩlɛkɔ.
<1>
Dans l’ensemble linguistique joola (langues atlantiques parlées en Casamance, au sud du Sénégal), les voyelles sont réparties en deux séries distinctes : les voyelles +ATR et les voyelles -ATR. Il existe dans les langues de cet ensemble, un phénomène d’harmonie vocalique selon lequel les deux séries de voyelles ne se combinent pas entre elles, à l’intérieur du mot (Sapir 1965 ; Sambou & Lopis 1981 ; Hopkins 1995 ; Bassène 2007 ; Sambou, P. 2007, 2011 ; Coly 2012 ; etc.). Tous ces travaux décrivent un système dans lequel, à l’intérieur d’un mot, toutes les voyelles sont soit +ATR, soit -ATR. En joola fooñi, cela est en partie vrai, mais nous verrons dans cet article des cas où l’harmonie vocalique n’est pas attestée dans l’ensemble du mot.
<2>
Comme dans beaucoup de langues qui ont ce type de système, la spécification +ATR est courante pour les morphèmes lexicaux, par contre pour les morphèmes grammaticaux, elle est beaucoup moins courante. Dans cette description du système, nous n’allons pas considérer ces deux valeurs comme également marquées (à savoir + ou –), mais plutôt comme une valeur marquée +ATR et une valeur non marquée (zéro). En effet une voyelle qui a le trait +ATR est inamovible, alors qu’une voyelle non spécifiée pour l’ATR prend par défaut le -ATR.
<3>
En joola fooñi, l’absence d’harmonie vocalique totale s’explique en partie par le degré d’intégration variable des morphèmes liés. En effet, une partie des morphèmes qui ont certaines propriétés de morphèmes liés, ne sont pas totalement intégrés au mot ; il n’y a pas une limite tranchée entre des morphèmes complètement liés et des morphèmes complétement libres. On observe notamment à la fin des mots, des éléments qui ont suffisamment des propriétés de morphèmes liés qu’on considère qu’ils font partie du mot mais dont l’intégration n’est pas totale.
N.B. : Les données que nous présentées ici viennent de l’observation d’un corpus d’environ dix heures de textes enregistrés.
Tableau : Les voyelles du joola fooñi
Brèves |
Allongées |
|||
antérieures |
postérieures |
antérieures |
postérieures |
|
fermées +ATR |
i |
u |
iː |
uː |
fermées –ATR |
ɩ |
ʊ |
ɩː |
ʊː |
moyennes +ATR |
e |
o |
eː |
oː |
moyennes –ATR |
ɛ |
ɔ |
ɛː |
ɔː |
ouvertes +ATR |
ɐ |
ɐː |
||
ouvertes –ATR |
a |
aː |
<4>
En joola fooñi, les noms ont un préfixe flexionnel qui marque la distinction entre singulier et pluriel et détermine les propriétés d’accord du nom dans le système d’accord en classe. L’infinitif, qui est la forme de citation du verbe, est une forme nominalisée, constituée d’un préfixe de classe et du radical verbal. Dans la plupart des cas, lorsque le thème verbal est monosyllabique, le préfixe de classe est ɛ-, lorsqu’il est polysyllabique, le préfixe de classe est ka-.
Dans la limite du radical (nominal ou verbal), il n’y a pas d’exception au phénomène d’harmonie vocalique dans la langue ; c’est-à-dire que toutes les voyelles du radical sont de la même série (+ATR ou non marquée).
(1) |
-jangɔɔn |
‘chat’ |
-rambɛn |
‘aider |
|
-sigir |
‘cœur’ |
|
-feejiir |
‘trois’ |
<5>
Nous avons toutefois noté une exception avec des mots français, même parmi les mots qui sont complètement intégrés à la langue. Avec ces mots, le trait +ATR ne concerne pas toutes les voyelles, il n’y a donc pas d’harmonie vocalique à l’intérieur de ces radicaux.
(2) |
paskɐ |
‘parce que’ |
ɛskɐ |
‘est-ce que’ |
|
sãsɐmaa |
‘changement’ |
<6>
Le thème est constitué d’un radical (nominal ou verbal) et d’un ou de plusieurs suffixes de dérivation. La plupart des suffixes de dérivation ne sont pas spécifiés pour l’ATR, ce qui veut dire que leur voyelle sera soumise à l’harmonie. Toutefois, il existe un certain nombre de suffixes qui sont +ATR.
<7>
Dans le cadre de la formation d’un thème, lorsque ces suffixes +ATR sont attachés à un radical qui a des voyelles non marquées, celles-ci s’harmonisent et deviennent toutes +ATR. Cette propagation s’étendra jusqu’au préfixe de classe.
(3) |
ka-fɔk-ul CLk-enterrer-INV |
→ |
kɐfokul |
‘déterrer’ |
ɛ-baj-ɐli CLe-avoir-faire.tôt |
→ |
kɐbɐjɐli |
‘avoir quelque chose tôt’ |
|
ɛ-jaw-um CLe-aller-APPL |
→ |
ejɐwum |
‘passer par’ |
<8>
La même règle vaut pour le marqueur centripète -ul qui propage également son trait +ATR sur toutes les voyelles du thème verbal. La spécificité de ce morphème (à la différence de l’inversif -ul) est d’avoir une distribution particulière. Dans la forme rédupliquée du verbe, le marqueur centripète ne se suffixe qu’au premier radical (5), là où les autres dérivatifs se répètent après chaque radical (6).
(4) |
a-laañ-ul CLa-retourner-CTP |
→ |
ɐlɐɐñul |
‘qu’il revienne’ |
ʊ-far-ul S2S-faire.tomber-CTP |
→ |
ufɐrul |
‘fais tomber (vers le locuteur)!’ |
|
pan-a-wamb-ul INACC-CLa-fermer-CTP |
→ |
pɐnɐwɐmbul |
‘il ouvrira’ |
|
(5) |
na-tɛy-ul-tɛy CLa-courir-CTP-courir |
→ |
nɐteyutey |
‘il a accouru’ |
(6) |
na-lɔɔp-ul-lɔɔp-ul CLa-chausser-INV-chausser-INV |
→ |
nɐloopuloopul |
‘il s’est déchaussé’ |
nɩ-baj-ɐli-baj-ɐli S1S-avoir-faire.tôt-avoir-faire.tôt |
→ |
nibɐjɐlibɐjɐli |
‘j’ai eu tôt’ |
|
kʊ-jʊk- ɔɔr- jʊk- ɔɔr CLbk-voir-RECIPR-voir-RECIPR |
→ |
kʊjʊk ɔɔ jʊk ɔɔr |
‘ils se sont vus’ |
<9>
A l’exception d’un seul préfixe de classe des nominaux (classe R’/D’ [1]), les préfixes et les indices de sujet (préfixés aux verbes) sont non marqués et subissent l’harmonie.
(7) |
ɛ-lʊʊp |
→ |
ɛlʊʊp |
‘maison’ |
fʊ-lɛɛŋ |
→ |
fʊlɛɛŋ |
‘lune’ |
|
sɩ-yɛn |
→ |
sɩyɛn |
‘chien’ |
|
ɛ-be |
→ |
ebe |
‘vache’ |
|
fʊ-bɐɐr |
→ |
fubɐɐr |
‘grosse branche’ |
|
sɩ-suk |
→ |
sisuk |
‘villages’ |
Il existe toutefois deux classes nominales qui se distinguent uniquement par le fait que le préfixe de l’une est spécifié +ATR, l’autre pas. Il s’agit des classes R et R’/D’. Ce sont des classes défectives, donc leur effet ne sera jamais visible sur un radical nominal (elles ne sont présentes que dans le paradigme de pronoms). En structure sous-jacente, il n’y a pas de voyelle dans les préfixes de la classe R’/D’, il s’agit d’un trait ATR qui flotte sur le préfixe et dans ce cas, c’est le préfixe qui donne le trait +ATR au thème.
(8) |
rATR-an |
→ |
rɐn ~ dɐn |
‘l’intérieur où’ |
r-an |
→ |
ran |
‘la chose qui’ |
|
ʊ-rATR-ɛ |
→ |
ure ~ ude |
‘ici (à l’intérieur)’ |
|
ʊ-r-ɛ |
→ |
ʊrɛ |
‘ceci’ |
<10>
En dehors des formes verbales impersonnelles [2], les formes verbales du joola fooñi comportent obligatoirement un indice de sujet. Par rapport à d’autres langues [3], il n’y a aucun élément entre l’indice de sujet et le radical verbal en joola fooñi, il se trouve toujours immédiatement avant le radical.
(9) |
na-jʊk-ɛ CLa-voir-TAM |
→ |
najʊkɛ |
‘j’ai vu’ |
na-suum-ɛ CLa-être.agréable-TAM |
→ |
nɐsuume |
‘il est agréable’ |
|
kʊ-fɔk-ɛ CLbk-enterrer-TAM |
→ |
kʊfɔkɛ |
‘ils ont enterré’ |
|
kʊ-loyi-ɛ CLbk-être.loin-TAM |
→ |
kuloyie |
‘ils sont loin’ |
<11>
Le pronom de la 1ère personne du pluriel inclusif est traité ici à part, car en plus d’un préfixe (n)ʊ-, il met en jeu un élément suffixé -aal. Les voyelles de ce pronom sont non marquées du point de vue de l’ATR et lorsque ce pronom est combiné avec un thème comprenant des voyelles +ATR, seule la partie du morphème qui se préfixe au radical s’harmonise. La partie qui se suffixe au radical quant à elle, demeure non marquée.
(10) |
ʊ [4]-kim-aal S1P.INCL-chanter-S1P.INCL |
→ |
ukimaal |
‘chantons’ |
nʊ-sonten-aal-ɛ S1P.INCL-soigner-S1P.INCL-TAM |
→ |
nusontenaalɛ |
‘nous avons soigné’ |
|
nʊ-tip-aal-ɛ S1P.INCL-traverser-S1P.INCL-TAM |
→ |
nutipaalɛ |
‘nous avons traversé’ |
<12>
Ce qui se passe, en effet, c’est que la voyelle -a (forme sous-jacente) bloque la propagation du trait +ATR. En présence du morphème -aal, tout morphème qui se place après et qui est susceptible de prendre le trait +ATR, ne le prendra pas. Cette voyelle fonctionne comme une voyelle opaque dans la propagation du trait +ATR. Ce phénomène n’est pas spécifique au joola fooñi, il est également attesté en laalaa et palor, deux langues atlantiques parlées au Sénégal (Soukka & Soukka 2011:45).
(11) |
nʊ-sonten-ɛ S1P.EXCL-soigner-TAM |
→ |
nusontene |
‘nous avons soigné (EXCL)’ |
nʊ-siil-ɛ S1P.EXCL-cuisiner-TAM |
→ |
nusiile |
‘nous avons cuisiné (EXCL)’ |
<13>
En joola fooñi, les marques de TAM sont de deux types : celles qui se placent avant l’indice de sujet, et celles qui se placent après le thème verbal. Parmi ces différentes marques, nous en retiendrons cinq, qui présentent des particularités en ce qui concerne l’harmonie vocalique, lorsqu’elles se combinent à un thème verbal.
<14>
Le morphème de l’inaccompli positif pan- a une voyelle non marquée. Lorsqu’il se préfixe à un thème verbal +ATR, son assimilation dépend de la rapidité du débit. Lors de la production d’un énoncé avec un débit rapide, la propagation du trait +ATR du thème s’étend au morphème pan-, dans le cas contraire, ce morphème demeure non marqué. Sapir dans ses travaux a d’ailleurs noté ce morphème toujours harmonisé.
(12) |
pan-ku-joo INACC-CLbk-venir |
→ |
pɐn-ku-joo ~ pan-ku-joo |
‘ils viendront’ |
pan-ɐ-rɐɐmul-i INACC-CLa-égorger-O2S |
→ |
pɐn-ɐ-rɐɐmul-i ~ pan-ɐ-rɐɐmul-i |
‘il t’égorgera’ |
|
pan-i-yis-uu INACC-S1S-montrer-O2P |
→ |
pɐn-i-yis-uu ~ pan-i-yis-uu |
‘je vous montrerai’ |
<15>
Le morphème de l’obligatif man- a la particularité de ne pas se souder complètement au radical puisqu’un constituant nominal sujet peut se situer entre les deux. Par contre, il a certaines propriétés de morphème lié puisque dès qu’il est préfixé, sa voyelle peut s’assimiler totalement (la consonne -n- tombe et les voyelles fusionnent).
(13) |
man-ɩ-laañ-ul OBL-S1S-retourner-CTP |
→ |
miilɐɐñul |
‘que je revienne’ |
man-ʊ-ŋɔɔlɛn OBL-S2S-pouvoir |
→ |
mʊʊŋɔɔlɛn |
‘que tu puisses’ |
|
man-ɛ-suum-ɛ OBL-CLe-être.bon-TAM |
→ |
meesuume |
‘que ce soit bon’ |
<16>
Parmi les marqueurs de TAM suffixés, il y en a qui sont manifestement intégrés au thème verbal, d’autres beaucoup moins. Sauf cas de blocage par un -a-, opaque, les marqueurs non spécifiés par l’ATR, subissent l’harmonie (cf. 4).
Avec le morphème de l’habituel négatif -eriit qui est de manière inhérente +ATR, la propagation du trait +ATR se fait dans les deux sens, c’est-à-dire dans le thème verbal et éventuellement après le morphème -eriit (14). Toutefois, cette propagation n’est toujours pas totale. Lorsque le thème verbal comporte plusieurs syllabes, la propagation s’arrête à la syllabe ou aux deux syllabes qui précèdent le morphème
-eriit (15) et elle ne s’étend pas systématiquement au -a (16).
(14) |
a-jɛ-eriit CLa-aller-HAB.NEG |
→ |
ɐjeeriit |
‘il ne va pas habituellement’ |
kʊ-kɛɛŋ-eriit CLbk-demander-HAB.NEG |
→ |
kukeeŋeriit |
‘ils ne demandent pas habituellement’ |
|
ɩ-jʊk-eriit-ɔɔl S1S-voir-HAB.NEG-CLa |
→ |
ijukeriitool |
‘je ne le vois pas habituellement’ |
|
(15) |
ʊ-sankɛn-eriit S2S-parler-HAB.NEG |
→ |
ʊsankeneriit |
‘tu ne parles pas habituellement’ |
a-pʊñɔ-eriit CLa-avoir.honte-HAB.NEG |
→ |
apuñoeriit |
‘il n’a pas habituellement honte’ |
|
(16) |
a-maat-eriit CLa-assister-HAB.NEG |
→ |
amaateriit |
‘il n’assiste pas habituellement’ |
<17>
Le morphème de l’hypothétique -jaa et le morphème ‘actualisateur’ -ñaa ont un comportement similaire lorsqu’ils sont suffixés à un thème verbal +ATR. En effet, la voyelle opaque -a de ces deux morphèmes ne s’assimile pas après un radical ou un suffixe avec des voyelles +ATR, bloquant ainsi généralement la propagation du trait +ATR.
Toutefois, lorsque le morphème -jaa se situe immédiatement après un radical +ATR, il s’assimile (19).
(17) |
pur-tɔ-jaa sortir-CLt-HYP |
→ |
purtojaa |
‘après çà, au sortir de là …’ |
a-siil-ʊt-jaa CLa-cuisiner-NEG-HYP |
→ |
ɐsiilutujaa |
‘si elle ne cuisine pas …’ |
|
ʊ-laañ-uu-jaa S2S-retourner-CTP-HYP |
→ |
ulɐɐñuujaa |
‘si tu reviens …’ |
|
(18) |
kʊ-riiŋ-ɛ-ʊ-ñaa CLbk-arriver-TAM-CTP-ACT |
→ |
… kuriiŋeuñaa |
‘… qui reviennent comme çà’ |
a-kim-ɛ-ñaa CLa-chanter-TAM-ACT |
→ |
… ɐkimeñaa |
‘… qui chante comme çà’ |
|
(19) |
riiŋ-jaa arriver-HYP |
→ |
rinjɐɐ [5] … |
‘si çà arrive …’ |
<18>
Avec les indices d’objet et les marques de possession de 1ère et de 2ème (qui sont par ailleurs de formes identiques) le comportement des voyelles dépend du type de voyelles et du nombre de syllabes.
<19>
Les marques de possession se suffixent au radical nominal. A l’exception du possessif et de l’indice d’objet de 1ère personne du pluriel exclusif -oli, tous les possessifs et les indices d’objet sont non spécifiés pour l’ATR.
Lorsque le morphème -oli est rattaché à un thème non marqué, les voyelles de celui-ci s’harmonisent généralement, sauf lorsqu’il comporte la voyelle -a dans la dernière syllabe.
(20) |
a-bɔñ-oli CLa-envoyer-O1P.EXCL |
→ |
ɐboñoli |
‘… il nous a envoyé’ |
man-ʊ-katɛn-oli OBL-S2S-laisser-O1P.EXCL |
→ |
manʊkatenoli |
‘… que tu nous laisses’ |
|
pan-kʊ-nag-oli INACC-CLbk-frapper-O1P.EXCL |
→ |
pankʊnagoli |
‘ils nous frapperont’ |
|
nʊ-kaan-oli S2S-faire-O1P.EXCL |
→ |
ʊkaanoli |
‘… tu nous a fait’ |
|
kʊ-paal-oli CLbk-ami-POSS1P.EXCL |
→ |
kʊpaaloli |
‘nos amis’ |
|
ampa-oli CLa.père-POSS1P.EXCL |
→ |
ampaoli |
‘notre père |
<20>
Le suffixe de possession et l’indice d’objet de 1ère personne du pluriel inclusif -ɔlaa(l) sont non spécifiés pour l’ATR. Lorsqu’ils se combinent à un thème qui a des voyelles +ATR, la propagation du trait +ATR est bloquée à la voyelle -a, par contre, la voyelle -ɔ, elle, s’harmonise.
(21) |
ka-yisen-ɔlaal-a-k CLk-montrer-O1P.INCL-DEF-CLk |
→ |
kɐyisenolaalak |
‘le fait de nous le faire savoir’ |
kʊ-kim-ɔlaal CLbk-chanter-O1P.INCL |
→ |
kukimolaal |
‘… ils nous ont chanté’ |
|
a-liin-ɔlaal CLa-sœur-POSS1P.INCL |
→ |
ɐliinolaal |
‘notre sœur’ |
|
ɛ-suk-ɔlaal CLe-village-POSS1P.INCL |
→ |
esukolaal |
‘notre village’ |
<21>
Nous avons cependant noté des cas où la voyelle -a s’harmonise, comme c’est le cas en (19). Bien que cette voyelle soit opaque dans plusieurs cas, comme noté précédemment, cette harmonisation peut s’expliquer par la proximité du suffixe avec le radical portant le trait +ATR. En effet, lorsque la voyelle est opaque, soit celle-ci ne suit pas immédiatement un radical +ATR, soit elle est la deuxième partie un morphème discontinu (cf. 4.2).
(22) |
a-siil-a CLa-cuisiner-AG |
→ |
ɐsiilɐ |
‘cuisinière’ |
ka-suum-aay CLk-être.agréable-ABSTR |
→ |
kɐsuumɐɐy |
‘paix’ |
|
ka-biif-uma CLk-faire.du.vent-INSTR |
→ |
kɐbiifumɐ |
‘éventail’ |
<22>
Il existe dans la langue une distinction nette entre indices d’objet humains et non humains (de nature CLo). Ces deux types d’indices n’occupent pas exactement la même place dans la structure du mot verbal. Les indices d’objet humains sont plus intégrés morphologiquement au verbe que les indices d’objet non humains, qui occupent une place plus périphérique (en position finale de mot). La distinction est particulièrement apparente aux tiroirs verbaux qui donnent lieu à une réduplication : dans ce cas, les indices d’objet humains succèdent immédiatement au premier élément, alors que les indices non humains succèdent au deuxième élément.
(23) |
nɩ-jʊk-ɔɔ-jʊk S1S-voir-CLa-voir |
→ |
nɩjʊkɔɔjʊk |
‘je l’ai vu’ (humain) |
nɩ-jʊ-jʊk-yɔ S1S-voir-voir-CLe |
→ |
nɩjʊjʊkʊyɔ |
‘il l’a vu’ (le chien) |
|
nɩ-jʊ-jʊk-bɔ S1S-voir-voir-CLb |
→ |
nɩjʊjʊkʊbɔ |
‘il l’a vu’ (l’arbre) |
Cette forte intégration explique le fait que les indices d’objet humains -ɔɔ(l) et -ɩɩ(l), s’assimilent toujours au thème +ATR auquel ils se suffixent.
(24) |
… jɩ-woyul-ɔɔl S2P-prendre.soin-CLa |
→ |
Jiwoyulool |
‘… vous avez pris soin de lui’ |
ʊ-wamb-ul-ɩɩl S2S-fermer-CTP-CLbk |
→ |
uwɐmbuliil |
‘ouvres-leur’ |
<23>
Par contre les indices d’objet non humains et les indices de lieu -CLɔ sont des suffixes non marqués et ne s’assimilent pas au trait +ATR du thème. Nous pourrions être tentés de traiter ces indices d’objet comme des morphèmes libres, mais le fait qu’ils entraînent une assimilation de la nasale finale du radical, nous oblige à les traiter comme des suffixes ou des enclitiques.
Par contre, l’indice locatif -do ~ -ro qui lui résulte d’un préfixe avec un trait +ATR flottant, assimile l’ensemble des voyelles du thème (26).
(25) |
kʊ-kim-kim-kɔ CLbk-chanter-chanter-CLk |
→ |
kukinkinkɔ |
‘ils l’ont chantés (le chant par ex.)’ |
na-tɛb-uu-yɔ CLa-porter-CTP-CLe |
→ |
nɐtebuuyɔ |
‘il l’a apporté (le siège par ex.)’ |
|
nʊ-siil-siil-sɔ S2S-cuisiner-cuisiner-CLs |
→ |
nusisiilusɔ |
‘tu l’as préparé (le riz par ex.)’ |
|
(26) |
ʊ-laañ-do S2S-retourner-CLr’/d’ |
→ |
ulɐndo |
‘retournes-y’ |
fɔɔfʊ-do CLf.être-CLr’/d’ |
→ |
foofudo |
‘ça y est’ |
|
na-tɔɔk-ro CLa-trouver-CLr’/d’ |
→ |
nɐtookuro |
‘il y a trouvé’ |
|
kɔɔkʊ-ro CLbk.être-CLr’/d’ |
→ |
kookuro |
‘ils y sont’ |
<24>
Nous avons également noté dans la langue des cas où la propagation du trait +ATR se fait au-delà du mot et s’étend au mot qui précède. Il faut toutefois préciser que ce type de propagation n’est possible que lorsque le débit de production de l’énoncé est assez rapide. Dans l’énoncé ci-dessous, le mot souligné est de nature non marquée (-jaw ‘aller’ employé ici comme un auxiliaire), mais dans le cas d’une production rapide, les voyelles de ce mot sont assimilées par celles du mot qui suit (-riiŋ ‘arriver’).
(27) |
Bɔŋ |
ñaa |
na-nɔkɛn |
ɐ-jɐɐ |
ɐ-riiŋ |
tɔɔk-ɛ |
ampa-ɔɔ |
man-a-fɩntɔ-ɛ |
bon |
alors |
CLa-entrer |
CLa-aller |
CLa-arriver |
se.trouver-TAM |
père-POSS.CLa |
OBL-CLa-coucher-TAM |
|
‘Bon, alors il est entré et quand il est arrivé, son père était déjà couché |
<25>
La propagation du trait +ATR se fait plus généralement de la droite vers la gauche à l’intérieur d’un mot (assimilation régressive), dans la mesure où, en joola fooñi, aucun préfixe, en dehors du préfixe de classe CLr’/d’ n’est spécifié +ATR. Dans les exemples ci-dessus, c’est généralement des suffixes +ATR qui assimilent les bases nominales ou verbales. Cette prédominance à la propagation vers la gauche se remarque en particulier dans le cadre de la réduplication par exemple, en présence d’un indice d’objet +ATR, la base verbale à droite de l’indice d’objet n’est pas assimilée.
(28) |
kʊ-kaan-oli-kan-yɔ CLbk-faire-O2P.EXCL-faire-CLe |
→ |
kukɐɐnolikanuyɔ |
‘ils nous l’ont fait’ |
ʊ-fas-ɔɔr-eriit-aal S1P.INCL-séparer-RECIPR-HAB.NEG-S1P.INCL |
→ |
ʊfasooreriitaal |
‘nous ne nous séparons pas habituellement’ |
Il existe toutefois des cas de double assimilation (à la fois régressive et progressive) lorsque la base nominale ou verbale a des voyelles spécifiées +ATR.
(29) |
a-liin-ɔɔl CLa-sœur-POSS.CLa |
→ |
ɐliinool |
‘sa sœur’ |
kʊ-loyi-ɛ CLbk-être.loin-TAM |
→ |
kuloyie |
‘ils sont loin’ |
<26>
Au niveau du système d’opposition, la voyelle -a- n’est pas différente des autres voyelles, mais dans le cadre de l’assimilation, elle a tendance à se comporter de manière particulière, avec notamment comme effet lorsqu’elle suit le morphème qui apporte l’ATR, c’est rare qu’elle s’assimile et demeure opaque.
Diachroniquement, pour beaucoup de morphèmes qui sont à la périphérie du mot verbal et qui n’ont pas un comportement net par rapport à l’ATR, il y a par ailleurs des indices forts qu’ils se sont grammaticalisés il y a peu de temps (cf. -ñaa et -jaa par exemple).
Références
Bassène, Alain Christian 2007
Morphosyntaxe du joola banjal, langue atlantique du Sénégal, Köln : Rüdiger Köppe
Coly, Jules Jacques 2012
Morphosyntaxe du kuwaataay : langue atlantique du Sénégal, Dakar, Müchen : Lincom Europa
Gouvernement du Sénégal 2005
Décret no 2005-981 du 21 octobre 2005 relatif à l’orthographe et à la séparation des mots en joola.
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Esquisses phonologiques du laalaa et palor (langues canguin du Sénégal). Göteborg Africana Informal Series, No 8. Gothenburg (S): Department of Languages and Literature, University of Gothenburg
Abréviations |
|
ABSTR |
abstrait |
ACT |
actualisateur |
AG |
agent |
APPL |
applicatif |
ATR |
Advanced Tongue Root |
CTP |
centripète |
CL |
classe nominale |
DEF |
défini |
EXCL |
exclusif |
HAB |
habituel |
HYP |
hypothétique |
INACC |
inaccompli |
INSTR |
instrumental |
INV |
inversif |
NEG |
négation |
O- |
indice d’objet |
OBL |
obligatif |
-P |
pluriel |
POSS |
possessif |
RECIPR |
réciproque |
-S |
singulier |
S- |
sujet |
TAM |
temps-aspect-mode |
[1] Par convention, nous notons en majuscule les schèmes d’accord des classes nominales) et en minuscule, les préfixes de ces classe.
[2] Les formes verbales impersonnelles sont des formes verbales non finies (c’est-à-dire sur lesquelles il n’est pas possible de marquer la personne du sujet). Typologiquement parlant, il serait cohérent de le désigner comme ‘participe’.
[3] Le swahili, par exemple, est une des langues dans laquelle l’indice de sujet n’est pas toujours directement rattaché au radical verbal. Les marques de TAM et les indices d’objet se placent entre les deux (Creissels, p.c.).
a. |
ni-li-ki-soma |
ki-tabu |
b. |
ni-me-wa-ona |
watoto |
|
S1S-TAM-O.7-lire |
7-livre |
S1S-TAM-O.2-voir |
2enfant |
|||
‘j’ai lu le livre’ |
‘j’ai vu l’enfant’ |
[4] Les indices de sujet ont une forme V et NV. Ces formes apparaissent chacune dans des tiroirs verbaux spécifiques et sont mutuellement exclusives.
[5] Il y a ici un phénomène de réduction de la longueur vocalique due à la consonne initiale du suffixe.
License
Recommended citation ¶
Bassène AC (2018). L’harmonie vocalique en joola fooñi. Afrikanistik-Aegyptologie-Online, Vol. 2018. (urn:nbn:de:0009-10-46528)
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