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1. Introduction

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La problématique concernant la relation entre le nom et ce qu’il représente a toujours alimenté les débats dans le milieu scientifique. C’est notamment les linguistes et les philosophes qui furent les premiers à manifester un intérêt certain sur l’origine et la signification des noms propres en général, et des noms personnels en particulier, comme le rapporte Tshiala (2011:12). Si certains (comme Platon et Socrate) débattent sur « qui a le droit » ou « la responsabilité » de donner un nom, d’autres par contre ont mené leur réflexion sur la signification du nom suivant le contexte dans lequel on le donne (vom Bruck & Bodenhorn 2009:5).

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En linguistique, la préoccupation a toujours porté sur le contenu et le sens (propre) du nom, si le nom a une signification ou non: «The traditional inquiry that linguistics was concerned with was always the question whether names have meaning or not» (Dobrić 2009:31). Engel, comme beaucoup d’autres, pense que le nom a un sens et un contenu sémantique: «Les noms ont un sens descriptif minimal : ils indiquent que l'individu désigné porte ce nom»(1984:431). Le nom propre peut aussi avoir une fonction sociale puisqu’il ne sert pas seulement à désigner, signifier, et interpeller, par sa formulation linguistique ; il procède aussi, par les mécanismes de sa transmission, d’une opération de classification sociale (Tshiala 2011:12).

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Comme pour la plupart des pays africains dont les systèmes anthroponymiques restent peu explorés par les africanistes et surtout par les chercheurs africains eux-mêmes, la situation est presque la même pour le balant où aucune analyse anthroponymique, à notre connaissance, n’a été entreprise jusqu’à présent. Cette première ébauche sur l’usage des noms de personne chez les Balant représenterait une précieuse source d’informations sur ce peuple et sa culture.

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Dans cette analyse, nous cherchons donc à comprendre le sens du nom que porte une personne en balant, à examiner le processus impliqué lorsque l’on donne à une personne un nom. Parce que le nom a une signification suivant un contexte ou une situation particulière qu’il peut révéler certaines pratiques sociales en balant; il ne peut donc pas être considéré comme un simple signe linguistique, un label conventionnel non motivé et donc sans connotation. «Names ‘do’ as well as ‘say’ things, just as expresses as well as constitutes social relations.» (vom Bruck & Bodenhorn 2009:5) Par le procédé métaphorique, l’on transfère la structure conceptuelle de l’abstrait au domaine concret qui est l’être humain que l’on nomme (Dobrić 2009:34): l’on transfère les caractéristiques d’un concept à un individu.

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Le nom d’une personne, en balant, est donc un code linguistique qui donne une information sur cette personne à laquelle il fait référence. Et parlant de nom de personne, nous faisons la distinction entre nom de naissance ou prénom (ftuuge), le nom honorifique (fbeeje) ou le nom de famille (fsumle).

2. Le cadre théorique

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Cet article traite de l’analyse des noms de personne en Balant. Nous partons du postulat selon lequel il y a un lien étroit entre les mots (la langue) et le monde (les réalités). Autrement dit, les signes linguistiques sont les représentations des pratiques socio-culturelles. Et le nom de personne en balant, signe linguistique, est porteur d’images à travers lequel le Balant s’affirme et s’exprime. Rappelons que pour cette analyse nous ne nous engageons pas dans ce débat sur la définition du nom propre (par opposition au nom commun), une définition complète qui d’ailleurs est loin de faire l’unanimité. D’ailleurs, la plupart des noms de personne en balant que l’on donne à l’enfant (appelés noms propres de personne) sont des noms communs. Pour cette raison, nous nous limitons à la seule terminologie de noms de personne.

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Ces noms de personne peuvent ainsi être considérés comme reflet de la philosophie, de la croyance, des pratiques sociales ; ils reflètent la conception de la vie (ou de la mort) chez les Balant. C’est d’ailleurs ce que constate Agyekum (2006:211) qui, parlant des noms akan, dit: « The language is a manifestation and description of the complexity and diversity of the peoples’ way of life and practices » (La langue est une manifestation et une description de la complexité et de la diversité de la façon de vivre et des pratiques des peuples).

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Même s’ils ont des similitudes avec ceux d’autres langues, les noms de personne en balant ont la particularité en ce sens qu’ils portent en eux une notion déictique (deixis personnel, temporel, spatial, social). Le deixis personnel indique que l’enfant qui naît porte toujours un nom de respect de l’ancêtre réincarné. Le deixis temporel s’applique lorsque l’enfant porte un nom qui lui est attribué suivant la période de la naissance. Quant au deixis spatial, il se réfère au lieu de la naissance dont l’enfant porte le nom. En fin pour notre analyse, le deixis social, renvoie au nom allusif qui dépend de la morphologie physique de l’enfant.

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Nous avons donc entrepris une démarche emic, pour cette analyse, qui donne la parole aux locuteurs et aux porteurs de ces noms l’opportunité de donner leur avis ou point de vue sur la conception, le sens ou tout simplement sur l’interprétation qu’ils font sur le monde qui les entoure et qu’ils nomment.

3. La corrélation fonctionnelle ou le choix arbitraire

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Nous indiquions que le nom de personne en balant peut être considéré comme un signe linguistique. Or, dans la logique de certains linguistes (voir Saussure 1968), un signe linguistique est un label arbitraire, que le signifiant et le signifié n’ont en commun aucune qualité intrinsèque; c’est-à-dire qu’il n’existe aucun rapport naturel entre le signifié (le concept) et le signifiant (l’image acoustique). Ce qui est vrai si l’on considère la désignation d’un même concept (la vache, par exemple) dans plusieurs langues. Vu sous cet angle, le rapport entre le signifiant et le signifié peut paraître arbitraire ou non motivé, donc coupé du contexte social, car rien ne pourrait justifier l’association d’un concept donné (le signifié) avec et sa réalisation visuelle/acoustique (le signifiant).

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Il est vrai que Saussure ne parle pas de nom de personne, mais parle plutôt de manière générale du nom (substantif) comme catégorie grammaticale, et donc du signe linguistique. Or si nous admettons que le nom de personne en balant est un signe linguistique, sa désignation par contre est liée à un contexte social bien donné comme dans le contexte du nom de naissance ou du nom-portrait (voir § 6). Il y a donc très souvent une corrélation fonctionnelle entre le signifiant et le signifié. Car, entre les mots et le monde, nous avons un lien très étroit ; ces mots (noms de personne) symbolisent une pratique sociale, une croyance, une pensée : le nom est le miroir d’une philosophie, d’une vision du monde. C’est d’ailleurs ce qu’affirme Mphande (2006:104) qui, parlant des noms de personne dans la communauté afro-américaine aux États-Unis, souligne que dans la culture de plusieurs sociétés africaines, le nom renseigne sur celui qui le porte : sa position dans la société, l’histoire collective et les expériences des peuples qui entourent l’individu : «Among many African cultures a name tells a lot about the individual that it signifies […] A name may indicate […] the position of the name’s bearer in society, and the collective history and life experiences of the people surrounding the individual». Le nom de personne, chez les Balant, rappelle l’existence et la singularité de l’individu qui le porte.

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C'est dire que lorsque l’on parle du nom de personne en balant, on est obligé de prendre en compte le contexte social dans lequel il est donné puisqu’il (le nom) est signe linguistique considéré comme une pratique discursive: «Names as signs are considered as discursive practices involving naming, it is important to as well to bring social context into the frame.» (vom Bruck & Bodenhorn 2009:5).

Le sens du nom que l’on donne à une personne en balant est quelque peu voilé par un procédé métaphorique, il est un symbole d’un système complexe de pensées : systèmes de valeurs, de croyances, d’organisation sociale ou politique (Tshiala 2011:125).

4. La typologie des noms balant

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Chez les Balant, on retrouve plusieurs noms que l’on donne une personne. Ces appellations sont, pour la plupart des cas, liées à l’âge ou au sexe. C’est ainsi que nous distinguons le nom de famille, le nom honorifique ou nom de respect (fbeeje), et le nom de naissance.

4.1. Le nom de famille

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Le nom de famille ou fsumle (en balant) est celui qui porte automatiquement l’enfant à la naissance. Ce nom est celui de son père, puisque la société balant est, à quelques égards, patrilinéaire. Ces noms sont Jaata, Saajo, Mansaal, Maani,… et sont portés suivant la descendance familiale ou de la tribu. Cependant, les récits rapportent que ces noms que portent les Balant aujourd’hui auraient été hérités des autres peuples (probablement des Bainounk) qu’ils ont trouvés dans leur terroir et (que les Balant) ont refoulés vers l’ouest. À en croire à ces récits, le Balant porte le nom de famile Dingool, Samnaangu, Samigaan, Mangaal qui sont à leur tour, et à l’origine, des noms de guerriers balant.

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Plus tard, certains néophytes balant convertis à l’Islam ont choisi d’autres patronymes mandingues. C’est ainsi que le nouveau fidèle abandonnera son patronyme balant au profit de celui de son guide (marabout) spirituel et adoptera le manding comme langue vernaculaire puisque c’est la seule langue liturgique. Voilà pourquoi, on retrouve chez les Balant des patronymes manding tels que Cissé, Seydi, Camara, Dabo.

4.2. Le nom honorifique ou la mémoire des ancêtres

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Le dialogue [1] suivant entre la vieille dame A et le jeune B nous rappelle l’intérêt que porte le nom honorifique en milieu balant. Ce nom évoque non seulement le respect, mais renseigne également sur l’identité clanique de la personne qui le porte.

La vieille dame A accourut alors et serra le jeune très fort dans ses bras, disant très ravie: «C’est bien toi mon père? Que tu as bien grandi …! Tu lui ressembles parfaitement!»

Souriant et un peu surpris, le jeune lui demanda: «Je suis bien votre papa?»

A : Ta maman ne te l’a pas dit ?

B : Je ne me rappelle plus vraiment.

A : Euh ! Quand je lui ai demandé, elle m’a dit que tu es à Sincap où on t’a adopté. Je lui rends souvent visite et une fois, elle m’a dit : ‘mon fils, quand je me suis rendue pour le giyura  [2] , il est sorti que c’est ton papa’. Je lui ai tout simplement répondu lui disant qu’elle mentait (rires), car même si ce n’est pas le cas, on dira toujours que c’est le papa d’autrui. Elle me dit alors : « tu le verras un jour ».

B : Et cet homme, votre papa que je suis, comment s’appelle-t-il ?

A : Il s’appelle Yaalla Siya

B : D’où est ce qu’il est originaire ?

A : Ils sont originaires de Suar (en Guinée-Bissau). Après Suar, il alla s’installer chez Ndaangi Mbolo à Birkama. De Birkama, il revint s’installer à Djibanar. C’est dans ce village qu’il mourut. J’étais en ce moment-là à Boukaour en mariage. Un homme très élégant, tout noir.

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De manière générale, chaque enfant (ou tout simplement tout individu) porte en lui un nom honorifique ou de respect. Souvent, lorsque l’enfant présente des signes de maladie, l’on déduit qu’il réclame un pacte d’allégeance aux ancêtres. Ce pacte passe par le rituel que l’on nomme giyura par lequel l’on décèle chez l’enfant l’ancêtre réincarné.

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Dès l’instant où la jeune personne entre dans le cercle des adultes, après la cérémonie de la grande circoncision ou du mariage, elle porte désormais ce nom de respect ou éponyme fbeeje, puisque le répondant ne peut plus être raillé ou ironisé par son nom ordinaire. Et c’est à travers des noms usités lors des salutations entre femmes, l’on peut retracer toute la lignée clanique du répondant. Car à chaque éponyme est ajouté un des noms additifs ou répondants qui sont ceux des oncles, des tantes, des cousin(e)s, …

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Cependant, il y a des éponymes masculins et féminins, même si certains hommes peuvent porter les éponymes féminins et vice-versa. Les différents éponymes sont les suivants:

Tableau 1: Les différents éponymes en balant

Éponymes masculins

malu, saaña, njama, siiga, nfaanda, yaala, yaamde, ŧeelu, nŧumbu, bingaña, binŧambe, kpumba, ñaaga, gwadi, dafa

Éponymes féminins

daanŧi, nŧaangi, ndaangi, digu, ñjanga, ŧaami, guuñi, siidu, diingu

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On peut donc conclure que le nom de respect que porte chaque personne est révélateur, puisque chez les Balant le défunt peut toujours continuer à mener une autre vie auprès de ses aïeux, se réincarner s’il n’a pas commis de sorcellerie de son vivant ou si sa conduite envers ses prochains n’était pas reprochable. En effet, de la nourriture ou du vin lui est toujours servi dans son ancienne case, au pied du lit, devant la grande case, ou dans le cabaret. Dans le cas contraire, le défunt fuyant le feu, réapparaît sous la forme maléfique, hideuse de nfuura ‘revenant’ qui est l’incarnation du mal. On demande alors au féticheur spécialiste de le tuer pour lui assurer le passage auprès de ses ancêtres. Ce qui fait croire que chez les Balant, le passage au feu (l’enfer) n’est pas une obligation pour les destinés ; ils sont libres d’y entrer ou de revenir sous la forme maudite même s’ils étaient les pires bourreaux de leur vivant.

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Pour le Balant, c’est comme s’il existait une sorte de voile qui nous sépare du défunt, car les morts sont bien vivants et participent activement à tout ce qui se fait sous le ciel : ils nous voient et nous observent dans nos activités quotidiennes.

C’est aussi sauvegarder cette mémoire des ancêtres (intercesseurs) que l’on prie ou par lesquels des requêtes de prières sont adressées à Dieu. Une mémoire que l’on commémore, que l’on tente de fixer contre l’érosion du temps et de l’oubli afin que chaque Balant connaisse sa lignée (patriarcale, matrilinéaire), sa famille. Ces ancêtres que l’on vénère; vénérés dans la mesure où leur protection est sollicitée par leurs descendants, puisqu’ils sont délégataires de pouvoirs. Ils vivent dans des arbres majestueux (fromagers, vènes…) qui constituent les autels communautaires ; dans des cabarets, au pied du lit, devant l’entrée de grande case ; dans les vases où on leur donne par moments du vin, de la nourriture ; ils ne sont jamais morts.

4.3. Le nom de naissance

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Le nom de naissance (ftuuge, en balant) est celui que porte l’enfant à la naissance. D’ordinaire, l’enfant s’appelle ndoti (adogti voulant dire garçon) s’il est garçon ou nfula (afula qui signifie fille) si c’est une fille.

On utilise pour la plupart des cas, par allusion, des idéophones pour donner un prénom à l’enfant; un sobriquet ou un quolibet (un nom donné par raillerie) caractéristique de sa morphologie physique. C’est donc un nom-portrait sur lequel nous reviendrons plus loin. Par exemple, si l’enfant a une grosse tête, on lui donnera le surnom dont la sonorité rime avec la grosseur de la tête, s’il est mince, l’on peut lui donner le surnom caractéristique de cette morphologie. L’enfant conserve ce surnom jusqu’après la grande cérémonie d’initiation ou jusqu’au moment du mariage, lorsqu’il s’agit d’une jeune fille. À partir de ce moment, on l’appellera désormais par son éponyme ou fbeeje.

4.4. Le nom conjuratoire

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Il faut aussi noter que pour diverses raisons, une fille peut porter le nom de garçon et vis-versa, pour enfanter l’enfant du sexe voulu. Généralement, cela arrive lorsque, par exemple, une mère enfante uniquement des filles. Un nom de garçon conjuratoire est ainsi donné à sa fille (de trop) qui naît afin que les prochaines fois la mère puisse mettre au monde un garçon. Par exemple lorsqu’une fille est née, au lieu de lui donner un nom de fille, comme par exemple Satou, elle portera le nom Ousmane (un nom masculin).

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Il y a également ce que l’on peut nommer comme l’appellation teknonymique (Roulon-Doko 2004:13). L’on peut appeler une mère ou un père en utilisant le nom d’un de ses enfants (garçon ou fille). Cette appellation est généralement utilisée par les enfants du même groupe d’âge puisque ne pouvant pas appeler les personnes par leur nom allusif ni par celui de respect. Lorsque le cas s’applique à la mère, ce dernier terme « mère » est ainsi suivi du possessif inaliénable (INAL) et du nom de l’enfant. Ainsi, pour dire la «mère de Babou», l’on aura «Naa na Babou»: mère + INAL+Nom. Il en est de même pour le père où on aura: père +INAL +Nom comme pour «père de Babou» qui donne «Baapa/Faafa na Babu». L’appellation teknonymique a donc cours pour le père et pour la mère.

5. Le nom de circonstance

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Le nom que l’on donne à l’enfant dépend du contexte dans lequel l’enfant est né. Ce contexte peut être lié au lieu de la naissance (toponyme), à la période de la naissance (temporonyme), à la morphologie physique de l’enfant, ou aux conditions de la mère lors de naissance de l’enfant (perte répétitive d’enfants). En effet, le nom donné à la naissance renseigne et donne des informations sur les conditions et les circonstances dans lesquelles l’enfant est venu au monde.

5.1. Le toponyme : de son lieu de naissance, on le nommera

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Le terme toponyme peut être utilisé pour parler des noms de personne en lien avec le lieu de naissance de la personne. Ce lieu de la naissance (que porte le nouveau-né comme nom) n’est pas uniquement le nom d’une ville, d’un village, mais il peut s’agir d’une rivière, d’un lac, de tout autre espace géographique, d’un champ (ou de la rizière) ou de l’intérieur d’un véhicule pendant le voyage de la mère d’un lieu à un autre: «The place may even refer to the farm or inside the car when the woman was travelling to another place» (Agyekum 2006:219).

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L’évocation de giraŋta ‘enclos de vaches’ comme prénom rappelle bien le système de production chez les Balant. Les vaches sont de véritables agents d’entretien du sol. C’est une des raisons pour lesquelles presque toutes les familles en disposaient pour la pérennité des cultures. Lors de cérémonies telles que les funérailles, les vaches sont tuées en grand nombre. L’utilité de la vache chez les Balant est également due au lait qu’elle produit et qui entre dans la consommation. Généralement, lorsque le bétail est abondant, les vaches sont gardées dans un enclos à l’arrière-plan de la concession.

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Les femmes, pour la plupart du cas, accouchaient dans le buisson, à l’aide d’une matrone ou d’autres femmes. Il arrive souvent, dans la précipitation, que l’accouchement se passe dans (ou près d’) un enclos de vaches. Et l’enfant qui est né dans ces conditions, se verra donner le nom du lieu de sa naissance, c’est-à-dire giraŋta ou l’enclos (des vaches). Voilà tout le sens de cette appellation toponymique que l’on retrouve en milieu balant. Par contre, nous avons des toponymes comme giduuŋ ‘la case du féticheur’ qui rappellent d’autres pratiques fétichistes. Le fétichisme est une pratique très courante chez les Balant. Comme pour le cas du nom de survie, l’enfant maladif peut être confié dans ce lieu pour que les génies veillent sur son âme afin de le prévenir ou le sauver de la mort ; il portera par la même occasion le nom giduuŋ .

5.2. Le temporonyme : de sa période de naissance, on le nommera

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Le temporonyme, comme le définit Agyekum, créateur du terme (Agyekum 2006 : 219) est utilisé pour faire référence à la période de naissance. Plus spécifiquement, le temporonyme indique que la naissance a eu lieu pendant une période de l’année (comme en début de l’hivernage, lors de la moisson …), ou lors d’une fête, d’un voyage, d’un grand rassemblement comme pour l’exemple suivant. Comme illustration, il y eut une cérémonie de funérailles dans ce village de Sincap qui réunit un monde fou venu y prendre part. La femme Kinta dont la grossesse était à terme, accoucha ce jour-là. À l’enfant qui naquit (une fille) on lui donna le nom de gaafu (du manding qui signifie une grande foule). Ce nom répond donc à ce contexte du rituel de funérailles qui est une pratique très en vue en milieu balant.

5.3. Le nom-portrait: de sa morphologie, on le nommera

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Le nom-portrait est celui que l’on donne à l’enfant par allusion à sa morphologie physique ou ses traits moraux ou comportementaux. Lorsque que l’enfant présente une certaine morphologie, une femme, par raillerie et très souvent entre les rires plaisantins, lui décerne un sobriquet ironique. Par exemple, si l’enfant a une grosse tête, on lui donnera le surnom de muuka dont la sonorité rime avec la grosseur de la tête. S’il est mince, l’on peut lui donner le surnom de ñoole ou bsul mbaan. Voici quelques exemples :

Tableau 2 : Exemples de noms-portrait

Terme balant

Référence

Terme d’appellation

Caractéristiques morphologiques

muuka

˗

idéophone

grosse tête

ntuukpe

˗

idéophone

cou enfoncé dans les épaules

ñoole

être en retard pendant le coucher du soleil

syntagme verbal

mince, chétif

bsul mbaan

notre peuple ou «ethnie»

syntagme nominal

mince/chétif

bboo

˗

onomatopée

gros nez

naata

˗

onomatopée

nez aplati

njombigu

˗

idéophone

avorton et élancé

aroufou

˗

idéophone

joues bouffies

Ces onomatopées et idéophones ont pour rôle de sociabiliser, de consolider les liens d’amitié et de fraternité dans la moquerie, la raillerie, l’ironie, ou mieux encore pour conjurer le mal.

5.4. Le nom de survie ou pour prévenir la mort

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Il y arrive souvent qu’une maman perde répétitivement ses enfants à la naissance ou qu’elle ne soit pas en mesure d’enfanter ; un mal-vivre que l’on impute à un esprit mauvais qu’il faut conjurer. L’on fait donc recours à des rituels pour préserver leur vie. C’est donc le message véhiculé, la valeur illocutoire du message, puisqu’on veut chasser, éloigner la mort par conjuration. Et parmi ces rituels, il y a la pratique du nom attribué à l’enfant (commune à celle de dimbaya) pour se débarrasser de cet esprit malfaiteur.

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L’enfant peut dès lors porter le sobriquet ñabute, ambilloda, ambiŧa, mallala, mbato, impliquant de facto un désespoir (ou un espoir en s’exclamant) quant à la survie de l’enfant. Parfois, on lui fait une marque (une incision à l’oreille, par exemple). Par cet acte, l’on pense que l’enfant aura honte de « repartir = mourir », car s’il revenait en vie en se réincarnant, on l’aura identifié par cette marque.

Tableau 3: Exemples de sobriquets en balant

Forme tronquée

Forme entière

Traduction en français

ñabute

ñi a bi teeye

je serai surpris (de le voir survivre) !

ambilooda

a mbi looda

il (ou elle) mourra sûrement !

mbato

u mba too

ne va plus !

ambiŧa

an mbiŧa

jusqu’à ce que je vois !

bañina

ba ñina

attendons de voir !

balagna

balag na

jetez-le !

Cette condition de dimbaya, lors des séances de danse pour la fécondité maternelle, oblige les féticheurs ou féticheuses - ces représentants du sacré - à invoquer les forces surnaturelles, dans le but de les infléchir par le rite et de conjurer le mal. C’est avec leur concours que la femme dimbaya qui souffre d’un mal croit pouvoir trouver une solution à ses problèmes de maternité.

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L’on peut aussi aller confier cet enfant à une autre famille non balant chez les Manjak, par exemple. Ces derniers (à l’aide de leur fétiches) veilleront sur l’âme de l’enfant qui reçoit un surnom manjak ou leur nom de famille (la mère de l’enfant porte généralement ce nom de famille). C’est aussi tout le symbolisme de ces noms de famille Seydi, Cissé (des Manding), Maréna, Lélou (des Manjak), Diallo (des Peuls) etc. que portent certaines femmes balant. C’est le cas de Nton Diassy (Antoine Diatta de son nom à l’état civil) qui fut confié à une famille Diassy (une famille manjack dont sa maman portera le nom de famille). D’ailleurs Nton est le prénom du vieux de la maison où l’enfant fut confié.

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Il arrive très souvent que la personne (la femme) concernée porte comme nom de famille Jóor (onomatopée, répondant du cri du Kankourang). Alors, l’enfant est confié à cet être mystique [3] ou aux esprits qui lui sont associés pour veiller à sa survie. La mère porte en elle des fibres ou des écorces filées et/ou deux morceaux de coupe-coupe. Des sorties sporadiques de Kankourang sont organisées à l’endroit de la victime et de son enfant dans le but de conjurer le mal.

5.5. Le nom épique (ou de faits de guerre)

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Les noms épiques ou de faits de guerre renvoient souvent à des hauts faits des héros lors des aventures guerrières. Ils sont donc destinés à l’éloge que l’on fait à l’endroit de cet héros devant les épreuves guerrières, généralement pendant les périodes de d’esclavage, conquête, d’islamisation, de colonisation ou d’autres entreprises oppressives tentant de les assujettir. Pour s’affranchir de ce joug, de cette «captivité» (culturelles et de tout ordre), des formes résistances ont été adoptées avec les noms qui traduisaient bien leur condition de guerriers téméraires.

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C’est tout le sens des noms tels que Sangole ou des patronymes Samnangou et Dingole. Le premier nom Sangole serait, d’après la tradition orale balant (Sadio 2008:8), celui que portait le héros qui aurait émancipé les Balant de la suzeraineté du Mandé. Sangole, saa ngole ‘qu’il ait peur!’, traduit donc sa bravoure ou tout simplement son attitude guerrière, puisque ne reculant devant aucun danger; ce qui, d’après la même source, l’aida à s’octroyer un vaste territoire au nord de la Haute Casamance.

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Quant aux patronymes Samnangou et Dingole, ils seraient les noms des deux lieutenants de Jawta Samagane, le patriarche balant qui opposa une résistance face aux conquêtes pérennes de Soundjata Keita (Sadio, id.). Comme pour Sangole, ces noms renvoient donc à une attitude guerrière puisque leur traduction en balant en rappelle bien : Samnangou se traduit gsam naagu ‘le sang du moineau’, tandis que Dingole renvoie à di ngole ‘aies la peine d’avoir peur!’

6. Nouvelles réalités, nouveaux modes de dénomination

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Aujourd’hui d’autres formes d’appellation ou de dénomination voient le jour, généralement chez les adultes. Il s’agit de noms additifs ou cumulatifs puisque dans ce cas, on nomme la personne par son nom laudatif auquel on fait suivre le nom allusif. Par exemple, si le nom de respect (laudatif) de la personne est Siidu et son nom allusif Arunfang, on le nommera Siidu Arunfang: nom laudatif + nom allusif. Dans la plupart des cas, on fait recours à cette forme de dénomination pour éviter la confusion, puisque dans un même village ou dans une même concession, on peut retrouver plusieurs personnes qui portent le même nom de respect.

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Il y a également ce que l’on peut considérer comme noms « diglossiques ». Ce phénomène est constaté chez les jeunes gens (filles comme garçons) qui portent plusieurs noms qu’ils utilisent (ou qu’on leur nomme) suivant différents contextes ; on dira «le nom de la maison» et «le nom de l’école», par exemple. À la maison ou avec leurs camarades, ils portent leur nom de naissance (nom allusif), mais à l’école ou dans les documents administratifs, ils prennent un nom chrétien, musulman, ou un nom dit moderne. Ainsi, Christian qu’on nomme Mbato (ne va plus !) à la maison, de son nom allusif, utilisera ce premier nom chrétien ou moderne Christian à l’école, dans ses documents, ou dans d’autres circonstances comme lors des navétanes [4]. Ce qui, sans doute, entraîne des confusions auprès des adultes ou des personnes âgées qui s’agacent souvent lorsque qu’une personne leur demande ou parle d’un jeune qu’ils ignorent à cause de son nouveau nom « moderne » ou qu’ils connaissent uniquement par son nom de naissance.

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Aussi, le paysage balant a subi beaucoup de transformations consécutives à l’ouverture de voies de circulation, à l’établissement de centres administratifs, commerciaux et de foyers scolaires, à l’adoption d’un nouveau mode de vie sociale due à la religion. Le Balantakunda continue d’attirer d’immigrants de populations frontalières et même de l’intérieur du Sénégal, ce qui entraîne sans cesse des changements linguistiques, culturels, puisque la majorité des jeunes nés des foyers mixtes ou dans des grands centres urbains ne parlent plus le balant ou ne se reconnaissent plus comme tels.

<41>

Aux Manding qui pénétrèrent cette zone à partir de 1925 sur les traces des colonnes françaises (Pélissier 1966:614 ), suivirent les Manjak et les Mancagnes venus de la Guinée-Bissau. D’autres ethnies comme les Sereer, les Peuls, et les Wolof se sont installées dans des zones comme Diattacounda, Goudomp ou Samine pour se livrer aux activités de la pêche et au commerce.

<42>

Les religions dites monothéistes (Islam et Christianisme) se propagent à grande vitesse dans les grandes agglomérations où certains villages sont presque tous islamisés. Cependant, le syncrétisme avec la religion traditionnelle, reste toujours une pratique très courante. Ces mutations ont grandement influencé certaines pratiques culturelles balant, notamment concernant les noms de personne. Car, les nouveaux fidèles optent souvent pour de nouveaux prénoms ou portent ceux dits « modernes » au détriment des prénoms balant. C’est ainsi que l’on trouve pratiquement partout les prénoms musulmans tels que Mohamed, Younouss, Mamadou, … au profit de ceux balant. Il en est aussi pour les fidèles chrétiens qui adoptent les prénoms chrétiens (ou européens) que l’on juge plus modernes comme Paul, Jean, Éric, Michel, … Pour les autres, la plupart choisissent les prénoms chrétiens ou « modernes », des noms ajoutés ou adjoints à ceux balant qui, du coup, disparaissent, donc non usités.

<43>

D’ailleurs, cette pratique était jadis très courante chez certains balant (les Bilib ou balanta Maané en particulier) comme en témoigne ce vieux dans un entretien avec Giesing [5]:

À l’origine, les habitants de Udamo portaient le patronyme Jaata et non Camara. Avant, il était commun pour certains jeunes gens de changer leur patronyme. Mes parents sont normalement Samnangou. C’est une fois à Udamo, chez mon oncle (maternel) Fodé qui accueillirent mes parents que le patronyme fut changé en Camara. Ce sont nos parents qui ont changé leur patronyme Samnangou en Camara. C’est Bsangila Douwa le fondateur de Libar. Les habitants portent le patronyme Samnangou

<44>

Ces balant, non seulement optaient pour les prénoms manding, mais adoptaient également cette langue comme la leur, donc celle vernaculaire. C’est dire que cette tendance de vouloir porter les noms dits balant est aujourd’hui de moins en moins (ou tout simplement) délaissée, ce qui fait dire à plus d’un comme le défunt chanteur Omar Mané du groupe Njaama Ñaaba que le Balant est en train de perdre ce qui fait sa particularité et la substance de sa culture, car en empruntant ces nouveaux noms, c’est indubitablement une richesse culturelle qui s’en sort affectée, donc perdue.

7. Conclusion

<45>

Cette ébauche du nom de personne en balant montre que la pratique de dénomination revêt à bien des égards des réalités socio-culturelles. Le nom renseigne sur la mémoire des ancêtres qu’il rappelle et fait revivre ; il informe sur lieu, la période de la naissance de l’enfant. Le nom est alors donné au nouveau-né pour chasser, éviter, prévenir la mort chez l’enfant (habité par le mauvais esprit) qui vient et qui repart souvent sans cesse, causant ainsi des peines à sa maman. Mais, et surtout, le nom balant renseigne sur la morphologie de l’enfant. Ce premier nom ironique qui lui est donné est descriptif de sa morphologie corporelle, une pratique qui se fait dans la raillerie entre les femmes pour consolider les liens de fraternité, d’amitié, de bon voisinage. C’est d’ailleurs ce que souligne Storch (2011:69) qui, parlant des langues Lwoo, fait remarquer que souvent les noms que l’on donne (aux enfants) font souvent référence à la situation de leur naissance telle que la relation entre les parents, la situation social de la famille, la guerre, la sorcellerie:

In Southern Lwoo languages, commonly given

names often refer to significant or aspects of

person’s birth (e.g. the parent’s relationship

at that time, the family’s social situation, war,

witchcraft, and so on

Dans les langues du Sud Lwoo, les noms que l’on

donne généralement aux personnes font souvent référence

à un fait significatif ou aux aspects de leur naissance

(par exemple la relation des parents pendant cette période,

la situation sociale de la famille, la guerre, la sorcellerie, etc.

<46>

Loin donc d’être un simple label non motivé, le nom de personne en balant est un code linguistique qui renvoie (par le jeu de la corrélation fonctionnelle entre le signifiant et le signifié) et nous informe sur la personne à laquelle il fait référence suivant les contextes de sa naissance.

<47>

Cette analyse, loin d’être exhaustive sur l’étude des noms en balant, est juste une modeste contribution que nous voulons apporter à ce domaine d’anthroponymie qui est l’étude des noms de personne. Voilà pourquoi elle pourrait constituer, à son tour, une hypothèse de recherches ultérieures, des suggestions de lectures renouvelées du balant comme langue, du peuple balant tout court.

Références

Agyekum, Kofi 2006

‘The sociolinguistic of Akan personal names’. Journal of African Studies 15,2:206-235

Dobrić, Nikola 2010

‘The theory of names and cognitive linguistics: The case of the metaphor’. University of Belgrade: Filozofija i dru štvo 21,1:31-41

Engel, Pascal 1984

‘Le sens du nom propre’. Archives de Philosophie 47:431-438

Giesing, Cornelia 1993

Anpassung und Widerstand in der Geschichte der Bejaa- und Becanja-Balanta (Senegal und Guinea-Bissau). München: Institut für Völkerkunde und Afrikanistik der Universität München, https://epub.ub.uni-muenchen.de/5742/1/5742.pdf (20.06.2017)

Mphande, Lupenga 2006

‘Naming and Linguistic Africanisms in African American Culture’. In: John Mugane et al (eds.) Selected Proceedings of the 35th Annual Conference on African Linguistics. Somerville, MA: Cascadilla Proceedings Project, p.104-113, http://www.lingref.com/cpp/acal/35/paper1301.pdf (20.06.2017)

Roulon-Doko, Paulette 2004

‘Faire vivre ses noms propres (anthroponymie gbaya). In: Thomas, Jacqueline M.C., Motte-Florac E. et G. Guarisma (éds) Du terrain au cognitif, Linguistique, Ethnolinguistique, Ethnosciences. Paris: LLACAN/CNRS, p.299-318, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00293211/document (20.06.2017)

Sadio, Seyni (sl.) 2008

Bejaa ou Balantes: Les fondements identitaires, historiques et culturels. ms (Seyni Sadio a écrit cet article, mais ne l’a pas publié. Il a fait des photocopies et le présent auteur en a reçu une.)

Saussure, Ferdinand de 1968

Cours de linguistique générale. Paris: Payot

Storch, Anne 2011

Secret Manipulations: Language and Context in Africa. Oxford: Oxford University Press

Tshiala, Lay 2011

‘La dynamique des anthroponymes chez les Ding de la République Démocratique du Congo (1885 – 1960)’. Neuchâtel: Thèse de Doctorat, Université de Neuchâtel, https://doc.rero.ch/record/22509/files/00002196.pdf (20.06.2017)

vom Bruck, Gabriele et Barbara Bodenhorn (éds.) 2009

The Anthropology of Names and Naming. Cambridge: Cambridge University Press



[1] Entretien réalisé par l’auteur le 16 mai 2016 à Koussy (dans le Balantakunda, Sénégal)

[2] C’est un rituel au cours duquel on donne un nom de respect à l’enfant. Ce nom est celui de l’ancêtre réincarné.

[3] Le Kankourang (Kankurang), d’origine manding, est un être mystique recouvert des fibres extraites d’écorces du semmelier (Philiostigma Reticulatum) et apparait souvent en période de circoncision.

[4] Période (estivale) de grandes vacances pendant laquelle des tournois de football sont organisés.

[5] Entretien réalisé par Cornelia Giesing en 1995 à Udamo, Guinée-Bissau.

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